Ou l’histoire des bougnats et charbougnats...
Cloîtré par un cercueil de neige pendant six mois dans ses montagnes, à l’écart des grandes mutations françaises, l’Auvergnat s’est longtemps contenté de survivre.
La vie est rude et il ne faut pas perdre un seul épi, ni une touffe d’herbe, ni la moindre croûte de fromage.
Les orties nourrissent les cochons, les ronces font des paniers, le plus petit bout de fer ou de cuir est récupéré.
Si l’homme disparaît, la pauvreté réduit ses proches en esclavage : la mère, devenue servante, place ses enfants dans des fermes où ils s’échinent de l’aube à la nuit, couchant dans le foin, nourris de brouet et de cochons malades, sans même un verre de lait.
A l’Aube, on entend les petits pâtres en limousine guider les cloches des troupeaux sous la pluie glaciale, en rongeant leurs guignons de pain noir. Hiver comme été, on marche pieds nus : les sabots vont aux riches, les galoches aux « Messieurs ».
Difficile d’acheter l’indispensable sans s’infliger un surcroît de travail :
- on tisse à Chaudes-Aigues,
- on frappe le cuivre aux portes d’Aurillac,
- on étame dans la vallée de Cheylade,
- on fabrique des gants sur la Maronne,
- on ramone au Falgoux...
Dés le XVIIIème siècle, les aléas des récoltes étriquent les ressources.
Tandis que les Cantaliens émigrent en Espagne, les marchands de charbon de Brassac partent à Paris vendre leur combustible.
Les aînés ont hérité de la ferme, alors les cadets partent par milliers, avec cinq francs noués dans un mouchoir, pour annexer les basses besognes de la capitale :
- cochers,
- forts des halles,
- saute-ruisseau,
- rémouleurs (natifs de Margeride),
- chiffonniers (d’Issoire),
- laitiers (du Cantal),
- marchands ambulants,
- frotteurs de parquets,
- livreurs de bains (ils montaient chez le client la baignoire remplie d’eau chaude !)...
L’hiver, les parisiens se lavaient peu et les porteurs d’eau de l’Aubrac se recyclaient dans le charbon :
les « charbougnats » étaient nés !
On connaît la suite...
La colonisation de la Bastille par les ferrailleurs cantaliens, qui font venir les jeunes du pays. L’acquisition progressive des petits hôtels de la capitale.
La fondation des brasseries et des cafés qui vont compter : Lipp, (Marcellin Cazes, Aubrac), Le Flore, Les Deux Magots, La Coupole, Le Dôme, La Rotonde, l’hôtel et les cafés branchés des frères Costes (originaires d’Aubrac), la plupart des bons débits de vins...
"L’Auvergnat, conclut Vialatte, est la mamelle personnelle de la France".
Pratiquement, on ne boit ni ne mange plus à Paris que par ses mains. On ne dort plus que par ses draps.
Nourrice complète, il vous abreuve, il vous alimente, il vous berce, il vous mène dans ses bras du berceau jusqu’à la tombe.
Aujourd’hui, grâce à Bouygues, il vous conditionne même à domicile et propulse - sur forfait - toutes vos conversations.
D’après l’Auvergnat de Paris, leur bulletin de liaison, les natifs de la « Grande Auvergne » seraient 800 000 en région parisienne.
L’oeuvre ne dit pas combien d’entre eux roulent en VFR...